necro-poesie ---- 05 May 2024
 

Paul Toaster en ombres

 

Je ne loupe généralement aucun mort.

Il suffit qu'un mort se présente et je m'en tiens informé immédiatement. J'y pense dans les termes les moins choisis au cas où, courroucé par ma souveraineté, l'esprit encore chaud du défunt viendrait terminer cette oeuvre ni faite ni à faire que constitue cette suite de respirations qui ont roulé jusqu'à la présente phrase, fut elle souveraine, fut elle futile. Je règne pour rien mais je règne quand même et ce n'est pas l'ombre d'un géant de quelque chose ou d'un génie d'autre chose qui viendra m'empêcher de jeter les patates dans l'eau salée de la casseroles tout en pensant aux abîmes révélées par le trépassé du moment. Plouf, c'est pas grave. C'était pas Shakespeare non plus, il a surement pas souffert, une fois la patate pelée il faut la cuire. Et d'ailleurs, le ciel et la terre m'en sont témoins, le peu que j'en savais n'a pas augmenté de beaucoup l'intérêt sur le peu que j'aurais pu en savoir si j'avais eu plus de considération pour cette disparition avant qu'elle n'advienne. Et si t'es embrouillé c'est normal, c'est comme ça que procèdent les petites ginettes de la vie dans leur petite cuisine à sa patate pour tenter une sortie splendide, double pirouette projetée avec les muscles du ventre depuis les barres asymétrique du quotidien à la ramasse. La presse effarouchée titrera à demi mot qu'on a retrouvé la cervelle du cuisinier sans histoire bouillie, à plat sur le réchaud, avec un mot vengeur attribué à Victor Hugo griffonée sur un post it vert collé entre les omoplates. Et hop, l'éternité pour une pensée de travers.

L'espoir fait vivre, n'est ce pas, c'est cela qu'ils disent, les vivants.

Et encore une fois, hélàs, puisque personne ne lit ces lignes, cela signifie malheureusement que je suis sauvé. Quand la patate a fait ploc au fond, mon mauvais esprit immédiat au sujet de Paul Toaster n'aura pas attiré son célèbre sien, il n'aura pas fouetté mes sens et fait couler la dernière encre. Comment ça, comment on ose dire une chose pareille, comme quoi c'était pas ce mec là qui faisait du tricot avec des fils narratifs emmêlées les uns dans les autres sans qu'on en voie clairement que ce soit la rime que ce soit la raison, c'était pas le mec là qui fait apparaitre des portraits d'adolescentes, des femmes assises dans le métro, en attente de quelque chose, des passantes, des inconnues, à la fois différentes et toutes les mêmes, des liseuses de Paul Toaster, rassemblées dans un stade atomisé tout entier voué à la lecture du Paul Toaster, rock star à Paris. hein, c'était pas celui là ?

Eh bien non, donc, rien. Pas un coup de boule, pas une décharge électrique, rien. Comme une lettre à la poste. Il est parti comme il est venu, c'est à dire, sans frapper.

Cependant, une augmentation est nécessaire. La chronique rapporte que la femme du trépassé fut doublée par une journaliste, s'agissant d'annoncer au monde, que ce soit les créatures des abysses ou les aigles sans répis, que le coeur de son mari avait cessé de battre que ce soit pour elle, que ce soit pour ta gueule, créature des abysses, aigle de mes deux etc.

De là j'en ai conclu tout naturellement que Paul Toaster a peut être réussi , en plus de tout le reste, à rater quelque chose qui eut fait de lui un véritable écrivain post mortem. Grace au blé américain qu'ils fauchèrent tous deux, la veuve eut appuyé sur le bouton de l'extravagante, l'onéreuse machine à congeler les écrivains passed out et puis elle aurait poussé le calame encore pour un ou deux livres selon les consignes du défunt. Pendant ce temps là les voisins auraient vu passer comme de coutûme un vieillard fourbu maintenant accablé d'une nouvelle maladie des yeux et d'une aphasie manifeste.

Et puis bien sûr, elle m'aurait téléphoné afin que je le lui arrange son tombeau. Comme écrivain anthume, cela aurait été tout à fait dans l'ordre. Voilà encore une sortie honorable loupée. Si cela continue de la sorte je sens que je vais trépasser pour rien.

← Je veux ma Momon

Avant: du canon jusqu'aux pétoires